L'application de la
circulaire n'est pas satisfaisante, plusieurs textes doivent rappeler
l’interdiction (1962, 1964, 1971, 1986, 1990). La circulaire du 17
décembre 1964 ajoute même une précision et porte l'interdiction aux « écrits à exécuter hors de la classe », puisque certains enseignants interprètent les textes en déclarant ne pas donner des devoirs, mais des exercices écrits…
En septembre 1995, François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale décide « pour lutter contre les inégalités des situations familiales » de mettre en place des études dirigées en classe qui remplaceront les fameux « devoirs écrits » à la maison, « les élèves n’ayant plus que du travail oral à faire ou des leçons à apprendre ».
Néanmoins, aucun texte ne demande aux enseignants de prescrire un travail aux élèves après la journée de classe.
Depuis, le temps réservé
aux études dirigées sur le temps de classe disparaît. En 2008, de
nouveaux programmes voient le jour morcelant de plus en plus l’emploi du
temps qui ressemble davantage à un sommaire de manuel scolaire qu’à un
ensemble réfléchi et ambitieux de savoirs à transmettre aux enfants.
Cette même année voit le temps d’enseignement donné à tous se réduire de
deux heures. Sont externalisés hors de ces 24 heures d’enseignement
hebdomadaire, les aides et soutiens (l’aide personnalisée, les stages de
vacances, l’aide aux devoirs et toutes les offres des officines
privées…).
Une sous-traitance de l’école
Cette concentration du
temps scolaire sur quatre jours (au lieu de cinq) et sur 24 heures (au
lieu de 27 puis 26) tend à accroître le volume des devoirs donnés à la
maison. Même quand les enseignants ne donnent « que » des leçons, les
enfants ont presque toujours le « devoir », l’obligation de les faire,
elles restent des « devoirs ».
Que penser des leçons
qui portent sur une notion venant juste d’être abordée le jour même en
classe ? Son appropriation n’est pas engagée, faute des temps
indispensables de questionnement, de tâtonnement avec ses essais et
erreurs. Une véritable « sous-traitance pédagogique » !
Quant à la correction
des devoirs, son traitement est bien différent selon les classes. Elle
peut soit prendre du temps en début de journée, ou au contraire être
faite très rapidement ou même pas du tout. Dans tous les cas, le suivi
individuel est très rare.
Une sélection sociale
Tous les parents n’ont
pas les mêmes possibilités pour aider leurs enfants à réaliser ce
travail à la maison : conditions matérielles, temps de retour du
travail, niveau scolaire, langue maternelle… Même une petite recherche
en vocabulaire, en géographie ou en histoire peut se révéler impossible
(absence de dictionnaires, d’encyclopédie ou d’ordinateur).
Le renvoi du travail
personnel à la maison pénalise en premier les enfants des familles
défavorisées, il met en difficulté des parents qui se sentent
impuissants, voire humiliés de ne pas « savoir ». L’école leur renvoie
une image négative sur leur rôle de parents.
Une journée trop longue
Certains enfants ont une
journée plus longue que celle d'un adulte salarié. En plus du temps de
classe, il faut ajouter celui de la garderie (matin et soir), de la
cantine, de l’étude surveillée, du conservatoire, du club sportif...
Pour trop d’enfants,
c’est la double peine ! Les « bons élèves » font rapidement leurs
devoirs, mais plus l’enfant a des difficultés scolaires plus il passera
du temps à les faire. Il pourra se décourager, se sentir « nul » et
ainsi seront semées les premières pierres du décrochage scolaire.
Une préoccupation familiale
La réalisation des devoirs diminue le temps de loisirs, le temps de repos et elle pèse sur les congés.
Quand un élève est
absent, les parents viennent en général chercher les devoirs à l'école
et ils s'inquiètent beaucoup moins des travaux manqués pendant la ou les
journées de classe.
À la maison, l’enfant
est souvent pris dans un chantage autour de la question des devoirs : tu
joueras, tu regarderas la télé, tu feras… quand tu auras fini tes
devoirs.
S’il ne comprend pas ce
que lui a demandé son enseignant, c’est lui le responsable : il n’a pas
écouté, il n’a pas fait son travail d’élève…
On peut avoir des
interventions de parents trop importantes, c’est l’adulte qui fait
l’essentiel du devoir. Il peut naître également des oppositions de
méthode entre les parents et l’enseignant (opérations, lecture…).
Des disputes, des
menaces de punition s’enclenchent au détriment de l’échange qu’il
pourrait y avoir autour de ce qui s’est passé à l’école, du travail fait
en classe, des projets.
Les bonnes excuses de l’école
Si l’enseignant donne
des devoirs, c’est pour répondre aux souhaits des parents, à l’image
qu’ils ont du bon enseignant qui fait travailler beaucoup ses élèves, y
compris le soir.
Les devoirs permettent
aux parents de suivre le travail de leur enfant et ils incitent les
familles les plus éloignées de l’école à le faire. On entend souvent :
si l’élève ne fait pas ses devoirs, c’est qu’il n’est pas suivi à la
maison, que les parents sont démissionnaires.
De plus, ils préparent
au collège : organisation du travail sur la semaine, gestion du cahier
de textes, distance entre le cours et ses applications… Faudra-t-il
donner des devoirs en grande section de l'école maternelle pour préparer
les élèves à ceux du cours préparatoire ?
Les devoirs à la maison permettraient de travailler plus pour savoir plus !
C’est un modèle
idéologique de réussite scolaire qui réduit l’apprentissage des
connaissances à l’effort et à la quantité de travail, qui méprise les
situations pédagogiques mises en œuvre par les professeurs et le temps
de la construction des savoirs qui dépasse la séquence ou l’heure de
cours.
C’est un modèle
individualiste qui ignore les situations coopératives d’échanges de
savoirs entre tous (élèves, enseignants et parents).
Certes, le travail
individuel et personnel, son organisation et la gestion du temps sont
des éléments essentiels de l’apprentissage, mais ils doivent se vivre en
coopération (pairs et adultes) à l’école. L’établissement scolaire doit
être le lieu qui encadre ces éléments essentiels et apporte les
ressources nécessaires, les soutiens ponctuels, les aides ciblées et les
suivis individuels des enseignants pour permettre à tous les jeunes de
les pratiquer et de s’approprier des savoir-faire explicites non
réservés à ceux qui les trouvent dans leur milieu familial.
Et pourtant !
Nombreux sont les
enseignants qui organisent, autrement qu’avec les devoirs, la
communication entre l’école et la maison, la participation aux travaux
de la classe et les relations individuelles avec les familles. Ils
n’attendent pas que les parents jouent au « professeur du soir », mais,
outre leur rôle naturel (affectif et matériel), qu'ils montrent
l’importance de l’école à leur yeux, qu’ils soient curieux et fiers des
réalisations de leurs enfants.
L’école peut entrer à la maison sans passer par des devoirs :
- la consultation des travaux rapportés de la classe ;
- l’écoute du texte dont l’enfant est auteur ;
- la lecture du cahier de vie, du cahier d’écrivain, du journal scolaire ;
- la visite du blog de la classe ;
- la participation à des présentations en classe (exposés d’enfants, œuvres…) ;
- etc.
La maison peut entrer à l’école sans les devoirs :
- le récit d’une visite, d’une promenade, d’un événement important ;
- l’écriture d’un texte dans le cahier d’écrivain ;
- la présentation d’un objet culturel, d’un animal familier, d’une recette de cuisine...
- l’exposé d’un parent (pays, métier…) ;
- les réunions individuelles avec les enseignants ;
- les échanges de savoirs ;
- etc.
Alors, à qui profite le crime ?
Aux enfants (et à leurs parents) qui ont déjà toutes les clefs pour réussir à l’école, les « héritiers » selon Bourdieu ?
A l’école libérale qui veille sur les « moyens constants » et surveille les dépenses ?
A l'école méritocratique et élitiste ?
Aux futurs chefs d’entreprise qui auront des travailleurs formatés pour « travailler plus » ?
Aux officines privées qui se lèchent les babines devant ce marché potentiel ?
Et à d'autres certainement !
Enseignants et parents, réfléchissons tous ensembles, pour donner du sens à l’école… et que les politiques nous entendent !
Participons à la
quinzaine "Ce soir pas de devoirs à la maison" organisée par la FCPE et
l'ICEM - pédagogie Freinet à partir du 26 mars et n'hésitez pas à jouer
les prolongations !
Catherine Chabrun